Il faut que ce " putain" de téléphone soit muet aujourd'hui! Je ne sais où en est Monsieur mon père qui s'ennuie sans vous. J'essaierai de le joindre plus tard...
Vous ne voulez pas qu'on en fasse trop? Je n'ai rien compris au théatre qui se joua, il y a cinq ans! Vous n'aviez pas pu faire une expérience en raison de votre père polytechnicien, mais nous n'avions pas d'électricité. Pas feutrés, lampes à pétrole : quel tralala!!! Quant à l'histoire de votre cercueil réouvert après déplacement, vous savez que je ne l'ai pas digérée! Ma soeur fut inconsciente : c'est un manque total de respect que de faire des choses pareilles. Jusqu'à la fin, vous fûtes une comédienne de talent. Vous n'avez pas reçu la lettre de vos camarades de classe avec toutes vos qualités, mais tous les voisins et proches ont défilé, et il fallut en consoler beaucoup. Les voisins ont voulu vous mettre une plaque de remerciement sur la tombe : j'en fus émue.
J'ai mis quatre ans à faire disparaître le calendrier de 2004 resté à la page de novembre. J'ai inventé un rite de type africain, le mettant derrière une sculpture mariale, avertissant Christiane pour le cas où quelqu'un cherche ce calendrier que Papa n'avait pas jeter. Au passage suivant à Sarron, je mis le calendrier dans le feu du fourneau de la cuisine. Vous n'auriez pas attendu quatre ans...
Le téléphone : vous le fîtes sonner dans le vide chez votre soeur, ma marraine. Votre inquiétude allait croissant, d'autant plus que vous sûtes qu'elle n'était pas allée à la réunion des soignants des pélerinages pour Lourdes. Vous prîtes votre deux chevaux, fonçant chez elle, à trois cent kilomètres. Une lumière était allumée en plein jour, la voiture de ma tante était là.... Vous fîtes défoncer la porte. Tante Elisabeth, paralysée depuis une semaine, vous reconnut : " Oh! Que c'est gentil d'être venue "! Je n'étais pas au courant et quand je le fus, je ne pus vous joindre : une semaine sans boire. Tante Elisabeth ne pouvait survivre quelle que soit l'action de l'hôpital. Joseph ( votre fils) m'appela affolé : " c'est de l'abandon conjugal. Papa va très mal" ( en fait Papa vous avait conseillé de partir)! Je ris de l'abandon conjugal. Joseph ignorait où vous logiez : je n'avais aucun moyen de vous joindre et Tante Elisabeth m'avait fait promettre d'être là, lors de son agonie. Je voulais vous dire de passer la nuit à l'hôpital : je savais que c'était la dernière. Vous espériez que l'hôpital puisse la sauver, et votre frère vous avait invitée à dîner. Ma pauvre petite mère, vous avez dû souffrir d'avoir accepté cette invitation! Votre miracle est d'avoir permis à ma tante de vous voir, d'avoir été là alors qu'elle était consciente, d'avoir vu qu'elle se préparait à mourir comme les carmélites, allongée, les bras en croix, bien qu'elle fut sortie démolie du Carmel au bout de cinq ans.
Maman, vous étiez toujours là en cas d'épreuve, et même dans les drames, vous gardiez votre sens de l'humour. Vous étiez profondément généreuse, déroutante par ce grand coeur parfois drappé d'un voile de snobisme, mais Cyrus en labrador stylé vous adorait. Vous l'avez nourri sur vos genoux quand il était petit, peut-être avec des biberons...
J'ai re-visité tous les endroits que vous aimiez à Paris, dont beaucoup de lieux avec de très beaux tableaux.
Je pense encore à vous chez les bouquinistes, sachant quel cadeau vous aurait fait plaisir.
Allo, Maman, vous venez m'aider pour ranger mon appartement ?Vous aviez de la méthode, du rendement, de l'humour, l'art de faire des expériences dangereuses pour pimenter la vie!
Vous souvenez-vous que je vous ai demandé de m'exécuter la danse du ventre et que vous le fîtes avec talent? Vous avez ri en le faisant. Vous ne perdiez pas une occasion de rire.Vous pensiez sans cesse aux autres, parfois avec trop d'inquiétude, mais vous pensiez à eux, et je crois pas assez à vous car vous étiez soignée en dépit du bon sens.
Maintenant, vous savez pourquoi St Benoit Labre est venu dans le salon : que voulait-il vous dire? Il me plaît ce saint clodo et il connait la famille. Papa m'a dit qu'il n'avait rien vu : il ne sait que penser. Maman, il ne fallait pas faire un signe de croix en lui disant de partir : il aurait bu un café, un de vos cafés décaféinés parce qu'il était très tard!
Maman, j'aimerais vous parler et vous entendre : vous direz au gouvernement Trinité qu'il est mal organisé en termes de communication! Vous êtes là et vous n'êtes pas là : il doit y avoir des solutions plus simples. Je vous aime et ne vous l'ai jamais dit de votre vivant. Je n'osais pas, je ne le savais pas vraiment. Je vous aime. Vous savez : c'est beaucoup plus fort que ce que j'ai dit aux hommes à qui je n'ai jamais prononcé de tels mots Un jour, j'ai pu vous confier que je savais très bien ce qu'était l'amour conjugal et vous en fûtes très touchée, regrettant que je ne puisse officialiser la chose. Nous étions très complices, ce jour-là, et je devinais que vous cherchiez à quoi ressemblait ce gendre blond aux yeux bleus. Ma petite mère, merci d'être vous. Votre fille farfelue, Elisabeth.