Dans l'article précédent, j'ai évoqué l'art de se montrer dans sa nudité. Me voici émue par le témoignage d'une artiste anorexique. " Reportage choc sur l'anorexie " vidéo you tube d'août 2020.
Je n'ai jamais sculpté d'anorexique mais ceci m'aurait été plus facile que de sculpter des modèles obèses. Une femme obèse posait parfois et je souffrais en la voyant : il me fallut apprendre à la voir au-delà de son obésité, à relever le secret de son être intérieur et à le transmettre en sculptant.
Je m'aperçois que je n'ai pas peur des corps anorexiques squelettiques. J'ai vécu à Calcutta et puis je crois que je comprends les jeunes femmes comme les femmes plus âgées qui ont le désir de se sentir aériennes.
Un grand photographe vit les oeuvres de l'anorexique dont je parle et perçut que sa mélancolie intérieur, son soleil noir, s'exprimait dans ses photographies. Il l'a aidée à proposer une grande exposition. L'art a des vertus guérissantes pour beaucoup de soleils noirs, peut-être aussi pour les trous noirs, ou pour ses instants dans nos vies où la question s'impose : " quel sens a cette existence? " Elle semble parfois qu'elle n'en ait aucun mais tant que la question demeure, la vie est là, prête à surgir, à se soulever, à bondir.
L'art est aussi une forme d'amour et la force des autoportraits de cette jeune femme est bouleversante : peut-être n'a-t-elle que cette parole, elle qui cessa de manger pour arrêter le temps : " Ô temps suspends ton vol ". Qui ne rêve du suspendre le temps ou de le vivre sous forme d'instants qui se dilatent? Si le mot éternité a un sens, il est sans doute dans l'intensité de vivre l'instant à fond.
Cette jeune femme n'a jamais eu envie de mourir : elle n'avait pas de corps, plus de corps. Elle eut peur lors de problèmes ophtalmiques ( ses yeux manquaient de liquide lacrimal : il y a des dosettes de sérum physiologique pour ce type de soucis ). Je ne sais si elle en utilisa mais je crois que c'est plus facile que d'augmenter sa ration hydrique pour une anorexique qui restreint même la quantité d'eau qu'elle ingurgite.
Elle veut être photographe : espérons qu'elle utilisera ces dosettes... Il me semble que ce corps décharné hurle " aimez-moi " sans croire que ceci est possible, mais l'exposition donne un instant de joie à cette jeune femme.
Cette artiste a beaucoup photographié des visages d'enfants réfugiés, d'enfants dans des pays en guerre, d'enfants souffrant de famine. Son hypersensibilité la rend apte à montrer par de beaux portraits la souffrance du monde. Elle communique avec la douleur du monde par sa sensibilité, et sa finesse d'esprit. J'ai souvent ressenti moi-même le soleil noir du monde avec intensité. Le reportage s'achève sur une brève analyse d'une psychiatre mais tout est dit dans les photographies. Victime d'un accident de voiture, l'artiste souffre de la nuque et ceci la gêne dans son métier. Elle meurt d'un arrêt cardiaque... Volontairement, mon titre ne parle pas d'anorexie. Cette artiste voulait être considérée comme artiste, et c'est ainsi que je la vois dans une complicité amicale d'artistes. Actuellement, dans la stratosphère, sans doute a-t-elle un corps avec lequel elle se sent plus en harmonie : un corps de danseuse très mince à qui je dédie le travail de Soulages sur les noirs.
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